Pornographie et préparation au mariage : comprendre pour mieux accompagner

Dans les Églises locales, au fil des accompagnements à la préparation au mariage, il n’est plus rare que des fiancés évoquent une consommation passée ou actuelle de pornographie. Ce sujet traverse désormais la vie de nombreux couples. L’enjeu n’est pas de juger, mais de comprendre, à la lumière de la recherche et des valeurs chrétiennes, les origines et les effets de ces pratiques.

Cette compréhension permet d’accompagner plus justement la construction d’une sexualité conjugale respectueuse, épanouissante et ouverte au plaisir partagé.

Une réalité fréquente, aux fonctions multiples

Regarder du contenu pornographique est devenu une pratique courante, y compris parmi les jeunes adultes croyants. Les données disponibles indiquent que 70 % à 90 % des hommes et 30 % à 80 % des femmes en ont déjà consommé dans le cadre d’une relation amoureuse (Vaillancourt-Morel et al., 2020).

Les motivations sont diverses : au-delà de la curiosité ou de l’excitation, la pornographie joue souvent un rôle de régulation émotionnelle. Plusieurs recherches montrent que certains y recourent pour gérer le stress, la solitude, la frustration ou l’anxiété (Bőthe et al., 2020 ; Perry & Whitehead, 2019).  Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’une recherche de plaisir, mais aussi d’une tentative de soulager une tension intérieure.

Dans ce contexte, la consommation peut devenir un moyen de apaiser des émotions difficiles, parfois au détriment du dialogue et de l’intimité partagée. Cela souligne l’importance d’apprendre à reconnaître et à gérer ses émotions dès le plus jeune âge.

Les Églises elles-mêmes gagneraient à inclure cet apprentissage dans leurs activités pédagogiques, en rappelant que l’être humain n’est pas seulement un être spirituel, mais aussi un être émotionnel et relationnel.

Ce que la recherche récente montre

Une étude longitudinale menée par Vasquez et al. (2024) auprès de 113 jeunes couples (16-29 ans) a examiné les liens entre la fréquence d’usage de la pornographie et la survenue de comportements violents ou coercitifs dans le couple.

Les résultats indiquent que :

• la consommation de pornographie ne prédit pas la violence physique ou psychologique ;
• mais elle est associée à une augmentation de la coercition sexuelle, c’est-à-dire des formes d’insistance ou de pression pour obtenir un rapport non désiré.

Ces comportements ne relèvent pas de la violence physique, mais d’une confusion entre désir et contrainte, souvent apprise inconsciemment à travers les scénarios pornographiques.

La Sexual Script Theory (Simon & Gagnon, 1986 ; Bridges et al., 2016) explique que chacun intègre, souvent sans s’en rendre compte, des modèles de comportement observés dans les médias ou la pornographie. Ces scénarios — dominants dans les productions grand public — valorisent souvent la performance, la domination masculine et l’effacement du consentement.

Vasquez et al. concluent que la pornographie agit comme un modèle éducatif implicite : elle façonne la manière de concevoir le désir, le plaisir et la relation à l’autre. Ils recommandent d’intégrer une éducation critique à la pornographie (porn literacy) dans les programmes de prévention et d’éducation à la sexualité.

Ce que la expérience clinique et la foi peuvent éclairer

Dans un article publié dans Sexologies (Gouvernet et Letzel, 2023 ; doi : 10.1684/sexol.2023.0004 ), nous avons montré combien la sexualité humaine est un chemin d’apprentissage : elle se construit, s’ajuste et évolue au fil de la vie et de la relation. Une sexualité épanouie ne se réduit ni à la performance ni à la conformité à un modèle médiatique ; elle s’enracine dans la rencontre, la réciprocité et la confiance.

Dans cette perspective, la pornographie ne représente pas seulement une tentation morale, mais une pédagogie concurrente : elle enseigne une sexualité sans lien, sans lenteur, sans altérité. Le risque n’est pas tant d’avoir « regardé du porno » que de laisser ces images façonner la manière de vivre la relation : désir immédiat, effacement du consentement, peur de ne pas être « assez ».

Ouvrir le dialogue dans la préparation au mariage

Aborder ce sujet, c’est inviter les couples à une parole vraie :

• Quelles images de la sexualité nous habitent ?
• Comment chacun régule-t-il ses émotions, son stress, son besoin d’affection ?
• Quelle place voulons-nous donner à la tendresse, à la lenteur, au respect mutuel ?

Dans de nombreux accompagnements, on observe que certaines jeunes femmes, dont le fiancé dit « lutter avec la pornographie », espèrent que cette difficulté se réglera d’elle-même une fois mariés. Cette attente, souvent sincère, mérite pourtant d’être nommée : le mariage ne guérit pas d’un usage problématique, et la sexualité conjugale ne peut se construire sereinement que dans la lucidité et le dialogue.

Dans un cadre chrétien, ce dialogue s’enracine dans une conviction : la sexualité est un lieu de don et de croissance, non de performance. Elle s’apprend, se découvre, se transforme à deux, dans la fidélité et la liberté.

Quand l’usage devient source de souffrance

Il peut arriver que la consommation de pornographie — ou les pensées associées — prennent une place importante, au point que la personne ait le sentiment de ne plus pouvoir la contrôler ou d’en souffrir.

Dans ce cas, il est essentiel de ne pas rester seul. Un accompagnement professionnel peut être d’une aide précieuse : sexologues cliniciens, addictologues, psychiatres ou psychologues sont formés pour aider à comprendre ces mécanismes, à restaurer la maîtrise de soi et à retrouver un rapport apaisé à la sexualité. Chercher de l’aide n’est pas un signe de faiblesse, mais un acte de responsabilité et de confiance envers soi et envers l’autre.

Pour un accompagnement éclairé

Les différents acteurs de santé sexuelle et de santé psychique peuvent jouer un rôle clé en aidant les couples à :

• distinguer désir, excitation et gestion émotionnelle ;
• comprendre les messages implicites de la pornographie ;
• reconstruire une sexualité incarnée et relationnelle ;
• replacer le plaisir dans la dynamique de l’alliance et de la foi.

Accompagner sans juger, c’est reconnaître que beaucoup d’hommes et de femmes ont grandi avec la pornographie comme seule “éducation sexuelle”, et qu’ils cherchent aujourd’hui un autre langage du corps et du cœur.

Références bibliographiques

• Böthe, B., Tóth-Király, I., Potenza, M. N., Vaillancourt-Morel, M.-P., & Demetrovics, Z. (2020). Predictors of problematic pornography use: A longitudinal study examining perceived realism, moral incongruence, and emotion regulation difficulties. Journal of Sex Research, 57(2), 196-210.
• Bridges, A. J., Wosnitzer, R., Scharrer, E., Sun, C., & Liberman, R. (2010). Aggression and sexual behavior in best-selling pornography videos: A content analysis update. Violence Against Women, 16(10), 1065-1085.
• Gouvernet, B. & Letzel, A. (2023). Comprendre les pratiques et représentations de la sexualité dans le cadre de la foi chrétienne. Sexologies, 33(1), e0004. https://doi.org/10.1684/sexol.2023.0004
• Perry, S. L., & Whitehead, A. L. (2019). Pornography, religiosity, and sexual satisfaction among married Americans. Journal of Sex Research, 56(2), 217-229.
• Simon, W., & Gagnon, J. H. (1986). Sexual scripts: Permanence and change. Archives of Sexual Behavior, 15(2), 97-120.
• Vasquez, M., Daspe, M.-È., Bőthe, B., Brassard, A., Lussier, Y., & Vaillancourt-Morel, M.-P. (2024). Associations between pornography use frequency and intimate partner violence perpetration among young adult couples: A 2-year longitudinal study. Journal of Interpersonal Violence, 39(21-22), 4260-4284. https://doi.org/10.1177/08862605241234656
• Vaillancourt-Morel, M.-P., Bőthe, B., Daspe, M.-È., et al. (2020). Pornography use and romantic relationships: A longitudinal study. Archives of Sexual Behavior, 49(8), 3023-3036.